Paris 1er

CONSTRUCTION – L’assignation au fond constitue le point de départ de l’action entre entreprises (revirement de la jurisprudence judiciaire)


Cass.civ.3, 14 décembre 2022, n°21-21305

 

 

Aux termes de la décision remarquée du 14 décembre 2022, la Haute juridiction énonce que :

« Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution de l'obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l'application de la prescription extinctive, avant l'introduction de ces demandes principales ».

Dès lors selon la Haute autorité, l'assignation, « si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures ».

 

Cet arrêt de revirement répond à un pragmatisme qu’il faut saluer. En effet, sous l’empire de la jurisprudence qui serait désormais ancienne, les nombreux locateurs d’ouvrage attraits à des opérations d’expertise, étaient obligés d’assigner les autres entreprises et leurs assureurs à titre conservatoire, ce sans réellement savoir si l’expert judiciaire retiendrait d’élément d’imputabilité à leur égard. Cet état de la jurisprudence conduisait à une multiplication des recours préventifs que l’arrêt évoque donc à juste titre (§16). La multiplication de ces recours anticipés qui nuit à une bonne administration de la justice, conduit aujourd’hui la Cour à modifier sa jurisprudence.

 

La solution ancienne était il faut bien le dire injuste à l’égard des locateurs d’ouvrage qui ne disposent dans leurs recours entre eux, ou à l’encontre de leurs sous-traitants, que d’un délai de cinq (5) ans. Ces  derniers sont donc désavantagés par rapport à d’autres parties, telles que le maître d’ouvrage, qui profitent de plusieurs délais de dix (10) ans prévus aux articles 1792-4-1, 1792-4-2 et 1792-4-3 du code civil. Cette disparité des délais d’action entre les intervenants à l’acte de construire est notamment rappelée aux termes de trois décisions en date du 16 janvier 2020 (Cass., 3ème civ., 16 janvier 2020, n° 18-25.915,18-21.895 et 16-24.352).

Pourtant, la Cour de cassation, par deux arrêts du 1er octobre 2020 (Cass., 3ème civ., 1er octobre 2020, n° 19-21.502 ; n° 19-13.131), avait clairement exprimé une position réprobatrice : « l'assignation en référé expertise délivrée par le maître d'ouvrage à un constructeur met en cause la responsabilité de celui-ci et constitue le point de départ du délai de ses actions récursoires contre un sous-traitant ou les autres constructeurs ».

La décision de revirement du 14 décembre 2022 facilite ainsi le sort des locateurs d'ouvrage dans le cadre de leurs appels en garantie.

 

Enfin, cette décision de revirement de la Cour de cassation permet d’unifier la jurisprudence judiciaire à la jurisprudence administrative. Il faut rapprocher ainsi cette décision de la jurisprudence du Conseil d’Etat en date du 10 juin 2022 (Société Otéis, req., n° 450675) déjà commentée.

 

 

Voir également : sur la jurisprudence du Conseil d'Etat, arrêt du 10 juin 2022 déjà commenté :

https://www.mury-avocats.fr/blog/articles/construction-debats-sur-le-point-de-depart-du-delai-d-action-entre-locateurs-d-ouvrage-suite


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