Paris 1er

CONSTRUCTION – Proportionnalité de la sanction liée au non-respect du cahier des charges d’un lotissement et examen de l'immixtion fautive d’un maître d’ouvrage


Cass.civ.3, 13 juillet 2022, n°21-16.408

 

 

Dans cette affaire, une société civile immobilière avait acquis le 15 décembre 2011, un lot de lotissement sur lequel était édifié une ancienne villa. En lieu et place de celle-ci, elle avait construit un bâtiment d’habitation collectif comportant six (6) logements avec piscine.

Les propriétaires d’un autre lot du lotissement avaient assigné la société afin d’obtenir à titre principal la démolition des ouvrages édifiés et, subsidiairement, des dommages-intérêts.

 

  • Sur la demande de démolition de l'ouvrage

 

Au soutien de leur action, les propriétaires voisins invoquaient la méconnaissance des stipulations du cahier des charges du lotissement, et notamment d’une stipulation imposant aux colotis d’implanter leur construction dans un carré de trente (30) mètres sur trente (30) mètres.

Les requérants fondaient leur demande en démolition sur les dispositions de l’article 1143 du code civil, tel qu’il était en vigueur avant la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, lequel disposait que « le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l'engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s'il y a lieu ».

Ces dispositions semblaient applicables à cette situation puisque le cahier des charges du lotissement était vraisemblablement antérieur à l’entrée en vigueur de la réforme. La date d’acquisition des lots entre 2001 et 2011 confirme cette analyse.  

La jurisprudence antérieure appliquait les dispositions de l’article 1143 en ordonnant la démolition sans que les colotis les invoquant n’avaient « à justifier d’un préjudice » (voir par exemple : cass.civ.3, 21 juin 2000, n° 98-21-.129).

Dans la décision du 13 juillet 2022, la Cour de cassation ne fait pas de la démolition une sanction automatique à la méconnaissance du cahier des charges puisqu’elle apprécie la proportionnalité d’une telle mesure d’exécution :

« Ayant retenu qu’il était totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective dans l’unique but d’éviter aux propriétaires d’une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d’exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts ».

Ainsi, les termes utilisés par la Haute juridiction s’inspirent fortement du nouvel article 1221 du code civil en vertu duquel un créancier peut poursuivre l’exécution en nature d’une obligation sauf «  s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».

 

  • Sur l'examen de l'immixtion fautive du maître d'ouvrage

 

Aux termes de cette décision la Cour de cassation se prononce également sur la question de l’immixtion fautive du maître d’ouvrage laquelle est rarement retenue, il faut bien le dire, par la jurisprudence.

La Cour de cassation rappelle au visa de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Pour limiter la condamnation du constructeur à garantir le maître d’ouvrage des condamnations prononcées contre lui, la cour d’appel avait retenu que le locateur d’ouvrage pouvait légitimement demander que sa responsabilité soit atténuée en raison de la qualité de professionnelle du maître de l'ouvrage qui était une SCI. Son objet social est, précise la cour d’appel,  d'acquérir et de construire tous biens immobiliers, puis de les gérer. La circonstance qu'elle soit constituée entre époux ne suffisait pas selon les juges du fond à anéantir la présomption de compétence de constructeur immobilier.

La Haute juridiction casse l’arrêt rendu en considérant qu’en statuant ainsi par des motifs qui étaient impropres à établir la qualité de professionnel de la construction de la SCI, laquelle suppose de détenir des connaissances et des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel avait violé le texte susvisé.

Aux termes de la jurisprudence, il doit être démontré que le maître d'ouvrage détenait une connaissance particulière des techniques de la construction. Ainsi, pour être exonératoire, l’immixtion est en effet subordonnée au constat d’une compétence notoire du maître d’ouvrage en matière de construction. Il a par exemple été jugé que la compétence d’agent immobilier pour le maître d’ouvrage qui impose le choix d’un matériau inapproprié à une construction de prestige, n’est pas suffisante pour retenir que ce dernier était compétent (Cass. 3e civ., 19 sept. 2019, n° 18-15.710).

 

 

Sur l'immixtion du maître d'ouvrage, voir également :

https://www.mury-avocats.fr/blog/articles/construction-sur-les-causes-exoneratoires-de-responsabilite-en-matiere-de-garantie-decennale
 

 

 


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