Paris 1er

CONSTRUCTION – Quelle sanction pour la non-conformité d’un ouvrage dépassant de 70 cm par rapport à la hauteur prévue au PLU ? Application du principe de réparation intégrale


Cass.civ.3, 4 avril 2024, 22-21.132

 

 

Par un arrêt remarqué du 4 avril 2024, la 3ème chambre de la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé contre un arrêt de cour d'appel qui condamnait l’une des parties à rendre une construction conforme aux règles de hauteur prévues par le plan local d’urbanisme.

 

Aux termes de son recours, l’auteur du pourvoi ne manquait pas de soutenir que les travaux de mise en conformité de l’ouvrage étaient sans commune mesure avec le dépassement de l’ouvrage qui était constaté, étant précisé que le dépassement était de 70 centimètres. 

 

La Cour de cassation retient qu’«en application de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et du principe de la réparation intégrale, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, de sorte que la victime doit être indemnisée sans perte ni profit ».

 

Il doit être rappelé que les faits de l’espèce concernaient l’exercice d’un recours d’un voisin tendant notamment à la mise en conformité d’une construction avec les règles de hauteur prévues par le PLU (qui n’avaient pas été respectées) (i) et que cette non-conformité avait pour conséquence de le priver, selon lui, « d’une grande partie de la vue panoramique sur la côte et le littoral ouest, limitant l’ensoleillement dont elle bénéficiait et réduisait la luminosité de l’une des pièces à vivre de sa maison » (ii).

 

Dans son pourvoi, ledit voisin semblait s'inspirer de la règle posée par l'article 1221 du code civil en matière contractuelle, selon laquelle l'exécution forcée ne peut pas être ordonnée lorsque son coût est manifestement disproportionné à l'intérêt qu'elle procurerait au créancier.  

 

Selon la Cour de cassation, la solution est simple : peu importait dans ce cas d'espèce, le coût de réparation du dommage. La victime avait le droit à réparation intégrale de son préjudice, réparation qui prend ici la forme des travaux de mise en conformité.

 

 

  • Position de la jurisprudence traditionnelle

 

 

Dans sa jurisprudence traditionnelle, la Cour de cassation statuant sur le fondement des dispositions de l’article 1149 du code civil, avait montré son attachement au principe de réparation intégrale, considéré comme étant une obligation faite au débiteur de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage n’avait pas été causé et donc si les désordres n’étaient pas survenus (Cass.civ.3, 27 mars 2012, n°11-11.798). Dans le prolongement de cette jurisprudence, la haute juridiction a ainsi pu retenir à juste titre que la victime doit être indemnisée sans perte ni profit (Cass.civ.2, 16 décembre 2021, n°19-11.294 ;  Cass.civ.3, 9 juillet 2020, n°19-18.954). En application de ce principe, la troisième chambre civile a retenu que le maître d’ouvrage qui a été indemnisé de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité contractuelle, ne peut être déclaré recevable, sur le fondement de l’exception d’inexécution, à refuser de procéder au paiement des honoraires du maître d’œuvre (Cass, 3ème civ, 28 septembre 2023, n°22-19.475).

 

 

  • Sur la recherche de solutions pérennes et alternatives à la démolition

 

 

Cependant, la jurisprudence retient qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la démolition de l’ouvrage lorsqu’il existe des solutions techniques alternatives de nature à remédier aux désordres (Cass.civ.3, 19 septembre 2019, 18-19121 : « constituait un préjudice indemnisable et retenu que la démolition et la reconstruction des immeubles n’avaient pas lieu d’être ordonnée lorsqu’il existait des solutions techniques alternatives de nature à remédier aux désordres, qu’elles constituent une mesure disproportionnée au regard de la nature et de l’ampleur des désordres »). Il incombe ainsi au juge de rechercher s’il existe des solutions alternatives à la démolition et ce n’est que si les désordres et les non-conformités sont suffisamment graves et irréparables qu’elle peut être alors ordonnée (Cass.civ.3, 21 mars 2019, n°17-28.768 ; Cour d’appel de Toulouse, 3ème chambre, 26 octobre 2021, n° 15-05393 ; Cour d’appel de Colmar, 2ème chambre, 30 septembre 2021, n°19-01206).

 

Ainsi, de manière cohérente, la Cour de cassation a pu retenir dans un arrêt en date du 14 février 2019 (Cass.civ.3, 14 février 2019, n°18-11.836), que le respect du principe de réparation intégrale n’impliquait pas nécessairement que le maître de l’ouvrage soit replacé dans une situation de conformité contractuelle, dès lors que les dommages pouvaient être réparés de façon pérenne. 

 

 

  • Sur les limites posées au principe de proportionnalité en matière d’empiètement

 

 

Le rejet du principe de proportionnalité est très clair en matière d’empiètement.

 

C’est ce qui résulte de l’arrêt qui a été rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 21 septembre 2023 (Cass.civ.3, 21 septembre 2023, 22-15.340) en matière d’empiètement sur la propriété d’autrui. Statuant sur le fondement des dispositions de l’article 545 du code civil, la Cour de cassation a très clairement indiqué que le juge du fond n’avait pas à apprécier une éventuelle disproportion entre l’atteinte au droit de propriété et les conséquences de la démolition sollicitée. Quelle que soit l’importance de l’empiètement, la solution tendant à voir disparaitre la construction litigieuse doit s’appliquer et peu importe que cette solution entraine la destruction de l’ouvrage (voir pour d’autres arrêts en ce sens :  Cass.civ.3, 9 juillet 2020, 18-11.940, Cour d’appel de Poitiers, 1ère chambre, 15 juin 2021, n°20-00051 ; Cour d’appel de Caen, 1ère chambre civile, 13 avril 2021, 17-00674 ; Cour d’appel de Poitiers, 1ère chambre, 8 juin 2021, 19-02586 ; Cass, 3ème civ, 21 décembre 2017, n°16-14.837 : énonçant que la victime d’un empiètement peut toujours demander la démolition d’un ouvrage sans avoir à justifier d’un préjudice, pas plus que de l’importance de l’empiètement). Notons toutefois que la jurisprudence n’avait pas toujours été aussi catégorique puisqu’elle a parfois rejeté des demandes de démolition alors que l’empiètement était caractérisé (Cass.civ.3, 28 juin 2018, n°17-22037 : concernant une palissade dont l’épaisseur empiétait sur le fonds voisin).

 

 

  • Ce cas est différent

 

 

Comme cela est rappelé ci-précédemment, il s’agissait en l’espèce du recours d’un tiers et non plus du propriétaire de l’ouvrage frappé par la non-conformité.

 

Le juge du fond conserverait dans ce cas de figure, une liberté pour apprécier souverainement les modalités de réparation du préjudice invoqué, y compris sur un fondement quasi délictuel (Cass, 3ème civ, 30 novembre 2022, n°21-24.450).

Il semble qu’en réalité, dans le cas du recours exercé par un tiers à l’encontre du propriétaire dont l’ouvrage n’est pas conforme, le contrôle de proportionnalité s’impose au juge en application des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et du citoyen, tendant à prévenir toute ingérence disproportionnée dans le droit au respect de sa propriété privée notamment par une sanction de démolition, et qui ne distingue pas entre les actions contractuelles et les actions quasi délictuelles (CEDH, 5ème section comité, RUBIO/France, 28 septembre 2023, n°40046-22).

 

L’article 8 de la convention européenne est ainsi rappelé dans une décision de la haute juridiction ayant retenu qu’ayant été saisie d’une action en démolition par un voisin du fait du non-respect d’une servitude non altius tollendi, grevant l’ensemble des lots d’un lotissement, une cour d’appel a pu ordonner une mesure de démolition après avoir procédé à un contrôle concret de proportionnalité entre la démolition ordonnée et la gravité du droit réel transgressé (Cass, 3ème civ, 23 novembre 2022, n°22-14.719).

 

Dans ce prolongement, il convient de retenir que si un contrôle de proportionnalité de la solution réparatoire reste toujours possible lorsque le juge est saisi d’une demande par un tiers, l’arrêt du 4 avril 2024 affirme que le contrôle exercé, dans le cadre d’une action quasi délictuelle, compte tenu du principe de réparation intégrale, ne doit pas être opéré en considération du coût qui pourrait en résulter pour le responsable du dommage, mais uniquement en considération de la gravité des désordres et de la nature des non-conformités, avec les conséquences en découlant, dans le cadre d’une analyse objective.

 

Il sera rappelé que dans l’arrêt rendu le 6 juillet 2023 (Cass, 3ème civ, 6 juillet 2023, n°22-10.884, Publié au bulletin), la Cour de cassation a été amenée à indiquer, dans le cadre d’une procédure initiée par un maître de l’ouvrage à l’encontre des constructeurs, et donc sur un fondement contractuel cette fois-ci, que le juge, saisi d’une demande de démolition reconstruction d’un ouvrage en raison des non-conformités qui l’affectent, doit rechercher, si cela lui est demandé, s’il n’existe pas une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier au regard des conséquences dommageables des non-conformités.

 

 

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