Paris 1er

VENTE IMMOBILIERE - Point de départ de la prescription et distinction entre effets immédiat et rétroactif de la loi nouvelle


 

Cass.civ.3, 16 sept. 2021, n° 20-17.625, FS-B + C
 

 

Ce n'est pas parce que les dispositions de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 s'appliquent aux prescriptions qui étaient en cours à la date de son entrée en vigueur, que celles-ci modifient rétroactivement les règles de détermination de leur point départ.

Ainsi, si la détermination de la durée d'une prescription relève des enjeux concernant l'effet immédiat de la loi nouvelle, l'analyse du point de départ de celle-ci doit trouver sa réponse dans les dispositions concernant sa rétroactivité éventuelle.

Tel est l'enseignement (prévisible) de la décision de la Cour de cassation rendue le 16 septembre dernier, aux termes de laquelle la Haute autorité rappelle la distinction entre effet immédiat et effet rétroactif de la loi nouvelle.

 

Dans cette affaire, les consorts M. vendent une maison d’habitation à Mme S. qui est l'épouse de Monsieur B. évoqué ci-après, pour un montant de 120.000 €. 

Quelques temps plus tard, une enquête pénale révèle que les consorts M. qui étaient en position de faiblesse avaient lors de la vente, été victimes d'actes frauduleux.

Par arrêt définitif du 4 juin 2013, M. L. est condamné à dix (10) ans d’emprisonnement pour s’être rendu l’auteur, entre le 1er janvier 1999 et le 21 octobre 2009, au préjudice des consorts M., d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse dans laquelle ils se trouvaient.

Par acte du 9 décembre 2014, les consorts M. assignent donc le notaire ayant reçu l'acte et M. B. en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de la responsabilité délictuelle en soutenant :

- que le notaire avait eu connaissance de leur état de faiblesse,

- que M. B. qui était agent immobilier, ne pouvait se porter acquéreur lors de ladite vente puisqu'il était l'époux de Madame S..

 

Saisie de cette action, la cour d’appel retient que l’action des consorts M. est irrecevable en rappelant qu’en application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq (5) ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Aux termes de sa décision, la cour d'appel précise toutefois que l’article 2234 du même code dispose que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. En l’espèce, le point de départ de la prescription prévu à l’article 2224 du code civil serait donc le 2 août 2007. De la sorte, le délai devait selon les juges du fond expirer le 2 août 2012.
 

La Cour de cassation casse l'arrêt rendu au visa de l’article 26 II de la loi du 17 juin 2008 et de l’article 2 du code civil aux termes duquel "la loi ne dispose que pour l'avenir" et "n'a point d'effet rétroactif".
 

La Cour de cassation rappelle que les dispositions de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 qui réduisent la durée de la prescription, s’appliquent effectivement aux prescriptions en cours au jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure mais qu'en revanche, les dispositions qui modifient le point de départ de la prescription extinctive ou qui déterminent les causes de report du point de départ ou de suspension de la prescription, ne sont pas concernées par ces dispositions transitoires, de telles dispositions ne pouvant disposer que pour l’avenir.

 

Ainsi, compte tenu de ce que le délai avait commencé à courir avant l’entrée en vigueur de la réforme, il fallait considérer nous dit la Cour de cassation que :

- le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité extra-contractuelle était déterminé par les anciennes dispositions de l’article 2270-1 du code civil (cass.civ.3, 24 janvier 2019, n°17-25.793) ;

- le nouvel article 2224 du code civil était applicable, sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée de dix ans prévue par l’article 2270-1 du code civil (cass.civ.3, 13 février 2020, n°18-23.723).

 

Dans cette espèce, l’action en responsabilité extra-contractuelle engagée par les consorts M. prenait sa source dans un contrat conclu le 2 août 2007, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. La décision de la cour d'appel violait donc les dispositions de l'article 26 précité et de l'article 2 du code civil.

Sa décision encourait inéluctablement la censure de la Cour de cassation.  

 

 

 

Voir également sur la vente immobilière :

https://www.mury-avocats.fr/blog/articles/vente-immobiliere-vice-cache-pour-dissimulation-d-un-defaut-de-permis-de-construire

https://www.mury-avocats.fr/blog/articles/vente-immobiliere-retractation-du-promettant-avant-la-levee-d-option-du-beneficiaire-d-une-promesse-unilaterale-de-vente-tournant-d-une-jurisprudence
 

 


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